(Crime 221) Affaire Bineta Camara : L’adieu douloureux !
11 minutes lues2019-2024 : 5 ans déjà ! Depuis, l’assassinat de Bineta Camara assiège littéralement l’esprit de chaque habitant de Sara Guilèle à Tambacounda, le Sénégal en général. Seneweb retrace les faits.
Un véritable choc. Nous sommes le 18 mai 2019. Notre boussole pointe vers l’Est, dans la capitale administrative du Sénégal Oriental, plus précisément à Sara Guilèle. Dans cette «Cité Charbon », le ramadan bat son plein. Par ailleurs, l’atmosphère de la rupture du jeûne en est toujours à ses aises. De ce fait, les ressortissants de cette contrée sont bien installés chez eux, sirotant goulûment leurs boissons.
Cette ambiance ne s’étend guère jusqu’au domicile des Camara. Silence cathédrale. La raison ? Le père de famille, Malal Camara, Directeur général de l’Agence de développement local (Adl), est en voyage d’affaires à Dakar. La matriarche, quant à elle, commerçante, est en Chine. Ce qui fait qu’à cette heure de la soirée, seule leur fille Binta Camara, devrait normalement être sur les lieux. Du côté d’El Hadji Malik Diop, le gardien, la pause a été prise des heures plus tôt, afin d’aller rompre le jeûne chez lui.
Dans cette partie du Sénégal, il n’y a point de « dangers ». Pas de risque de cambriolage ou d’agression. Tout d’un coup, le téléphone de Bineta Camara sonne. Elle décroche.
Bineta Camara, fille de l’ancien directeur général de l’Agence pour le développement local (Adl)
Quelques secondes après, la voilà qui ouvre à son interlocuteur, la porte de la demeure. Pieuse et imbue de principes de l’Islam, cette dernière ne commettra jamais la maladresse de recevoir un courtisan chez elle, à pareille heure, ses parents, absents de surcroît.
De ce fait, après les salutations d’usage, Bineta Camara précède le visiteur tout en se dirigeant vers la chambre de sa mère. Il la suit et lui balance : « Ton père devrait être plus reconnaissant envers moi ». Un vent très pesant lui est servi comme réponse. Il renchérit « Pourtant, les femmes bénéficient plus de ses faveurs ». Ce, avant de commettre l’irréparable. Bineta Camara est allongée au pied du lit, inerte et sans aucune respiration.
Vers 22 heures, le vigile El Hadji Malik Diop plus connu sous le nom d’Ako est alerté par le fiancé de la victime. Derrière le combiné, ce dernier lui fait part de son inquiétude. « J’ai quitté mon poste à 18h30. Bien avant cela, Bineta m’a appelé pour vérifier si j’étais déjà parti. Je lui ai répondu par la négative car à ce moment-là, j’étais dans l’enclos des moutons. Vers 22 heures, son fiancé m’a fait part de son injoignabilité. Comme Bineta était asthmatique, j’ai cru qu’elle avait fait une nouvelle crise. Arrivé à la maison, la découverte fut macabre », a raconté le gardien.
«Violée et tuée »
Bineta Camara a été étranglée avec son foulard de tête. Sa robe relevée jusqu’au buste, assoit la thèse du viol. Les experts scientifiques sont appelés. Du sang et du sperme visibles sur les habits de la victime.
Elle aurait reçu deux violents coups de poings qui auraient rapidement précipité son évanouissement. Le premier aurait atterri sur son ventre, le second aurait heurté sa tempe. Et pourtant, l’assassin n’a daigné s’en arrêter là, car la cause du décès provient de l’étranglement qu’elle aurait subi. Des traces de lutte sont par la même occasion relevées sur le corps.
Selon les enquêteurs, il demeure évident que ce crime est consécutif à une tentative de viol qui a mal abouti.
Les suspicions ne tirent point en longueur. Ako est alors interpellé. Sa femme aussi. Celle-ci soutient dur comme fer que son mari n’est en aucun cas mêlé à cette sordide affaire. Malgré cela, le gardien est placé en garde-à-vue, pour les besoins de l’enquête.
En outre, les réquisitions téléphoniques ont porté ses fruits : un dernier appel entrant sur le téléphone de Bineta Camara effectué aux alentours de 21 heures, aurait duré 16 secondes. La géolocalisation indique que le propriétaire du numéro en question se trouve à ce moment-là au domicile de la victime.
Dans un décor funeste et austère, momentanément interrompu par des pleurs et des lamentations, un dénommé Pape Alioune Fall est interpellé par la police urbaine de Tambacounda, le 20 mai. Lui qui s’affairait de gauche à droite, mettant à l’aise les visiteurs, venus compatir à la douleur de la famille éplorée. « Messieurs, vous faites erreur. Comment pouvez-vous embarquer Alioune Fall ? C’est un membre de la famille voyons ! », lance Mamadou Diouf, oncle de la victime aux limiers.
« Le téléphone, le message sur WhatsApp et les habits tachés de sang »
Ce même suspect a pourtant pris la peine de faire circuler une bande audio sur Whatsapp afin de partager sa consternation suite à la perte de sa « sœur » qu’il qualifiait de ‘’waliwou’’ (Ndlr : Une sainte).
Le présumé meurtrier, habitant de Sara Guilèle, est le fils d’une vieille connaissance à Malal Camara. Âgé de 33 ans au moment des faits, le menuisier de profession, membre de l’Alliance pour la République (Apr), a nié les accusations. Il campe sur sa position : « je n’ai pas tué Bineta».
Toutefois, une nouvelle preuve a permis aux enquêteurs de confirmer sa présence sur les lieux du crime, le jour des faits. Le téléphone de Bineta Camara qui avait mystérieusement disparu de la scène de crime est retrouvé malencontreusement enfoui dans l’embrasure d’une partie déchirée du matelas appartenant au suspect.
L’évidence saute aux yeux. Pape Alioune Fall aurait tenté de dissimuler toute preuve pouvant démontrer son implication. Les analyses du sang retrouvé sur la robe de la victime, ainsi que les traces de sperme, démontrent encore plus, la virulence des soupçons qui pèsent sur lui.
Le mis en cause passe aux aveux. « Ce jour-là, j’ai guetté le départ d’Ako. Il devait rentrer chez lui pour la rupture. De ce fait, après son départ, j’ai appelé Bineta afin de voir si elle était sur place. Une fois dans la maison, j’ai demandé des nouvelles de son père. Je lui ai demandé par la suite de plaider ma cause auprès de lui, car des années durant, ma situation n’a guère changé. Et pourtant, les nouvelles recrues du parti ne se plaignent point. Elle ne m’a pas répondu sur le coup, mais je sentais son agacement », a-t-il narré. Avant de poursuivre : « Pour lui faire entendre raison, je l’ai suivi dans sa chambre. Énervée, elle me somma de quitter les lieux, tout en voulant ameuter le voisinage. Sous le coup de la panique, j’ai songé à la maîtriser, mais elle ne voulait en aucun cas que je la touche. Dans ce tiraillement, mon poing a atterri sans que je ne le veuille sur son ventre. Elle a commencé à me griffer de partout et cela m’a fait perdre le contrôle ».
Pape Alioune Fall, condamné à la prison à vie
Le 21 mai 2019, Bineta Camara est inhumée. Elle repose désormais au cimetière musulman de Sara Guilèle. Deux jours après, son présumé meurtrier est placé sous mandat de dépôt. Il sera jugé devant le Tribunal de grande instance (TGI) de Tambacounda pour assassinat et tentative
Le 26 juin 2020, Pape Alioune Fall est jugé. Face au tribunal, il change de version. Il explique : «Bineta s’était agrippée à mes parties intimes, je l’ai bousculée par la suite. Elle est tombée en se cognant la tête au mur. Je l’ai relevée pour l’installer sur lit. Mais d’un coup, elle s’est mise à convulser, en bavant. Puis, est tombée du lit en se cognant cette fois-ci la tête contre le pied du lit. En aucun cas je ne songeais à abuser d’elle ». Peine perdue, il sera condamné à la prison à vie.
Non content de cette décision rendue, l’avocat Me Ciré Clédor Sy interjette appel. Ainsi, le 21 décembre novembre 2022, la chambre criminelle de la Cour d’Appel de Tambacounda ouvre à nouveau le dossier concernant le meurtre de Bineta Camara. Pape Alioune Fall conteste les faits viol.
Mais pour les avocats de la partie civile, cette nouvelle théorie du prévenu est dépourvue de sens. A ce sujet, ils expliquent que la victime, décrite à l’unanimité comme étant pieuse, discrète et très réservée, n’aurait pas seulement attaqué le mis en cause après les remarques qu’il aurait fait sur le comportement de son père. Pis, ils rappellent que du sang a été prélevé sur son caleçon.
De l’autre côté, Me Ciré Clédor Sy soutient que la piste du vigile a été très tôt abandonnée. A l’en croire, son client aurait bien pu commencer le travail qui a valu la mort à Bineta, mais que quelqu’un d’autre aurait pu terminer la besogne. Faisant ainsi allusion à Ako.
La cour d’appel confirme la première instance. Pape Alioune Fall est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. La défense annonce un pourvoi en cassation.
«Ma fille me manque »
Bineta Camara, la voilée, avait 23 ans. Quatre jours après son anniversaire, elle a été assassinée.
Ainsi, après l’obtention de son baccalauréat en 2013, elle assurait régulièrement la gérance du magasin de tissus de sa mère. Celle-ci, de retour de voyage, accepte la réalité avec foi. Avec un visage éprouvé par les larmes, elle affirme : « je m’en remets au Tout-Puissant, c’est lui qui en a décidé ainsi».
Son allure passive et discrète lui a valu le respect de tous. Elle ne haussait le ton sous aucun prétexte. Offrant de passage son aide à qui de droit. Ses publications sur les réseaux sociaux étaient toujours liées à la religion. «Pape Alioune Fall m’a vraiment déçu. Je ne m’attendais pas à cela venant de lui. Je le considérais comme mon fils, ajoute Malal Camara. Avec une pointe de nostalgie, il renchérit:«Ma fille me manque ».